TALK – Rencontre & Dédicace du livre Maisonneuve – Librairie Les Volcans
Le Sonneur, qui êtes vous ?
Je signe mon travail sous le nom de Le Sonneur. Je suis architecte, plasticien, dessinateur et auteur d’une dizaine de romans graphiques publiés en France et à l’étranger. Depuis 2014, mes dessins, mes installations de street art et mes sculptures font régulièrement l’objet d’expositions en France et à l’étranger — en Allemagne, en Australie, au Japon, ou encore aux Émirats arabes unis.
Pourquoi ce pseudonyme ?
Le Sonneur est un poème de Stéphane Mallarmé. Mallarmé y évoque la résonance d’un acte qui attire l’attention, qui interpelle et qui invite à une certaine rêverie ou méditation. Il y a dans ce texte l’idée que chaque geste, même minimal, peut créer un dialogue invisible et poétique avec le monde — une idée qui résonne profondément avec ma propre pratique.
Mallarmé m’a toujours beaucoup touché : son mystère impénétrable, sa poésie comme des formules magiques qui conservent leurs secrets. C’est une quête, presque un voyage initiatique, parfois proche de l’alchimie. Et puis il y a la forme de son livre Un coup de dé jamais n’abolira le hasard — cette mise en page sculptée, libérée, qui a d’ailleurs inspiré un de mes livres, Et mon cœur se serra.
La deuxième raison est liée à mes débuts comme street artist, il y a plus de dix ans.
À cette époque, je posais dans les rues de Paris et d’autres villes des petites sonnettes rouges sur les pas de porte des inconnus, accompagnées de messages poétiques, étranges ou romantiques — comme “my love” ou “un bel inconnu”.
Ces sonnettes étaient pour moi une forme d’architecture poétique minimale : je ne dessinais pas un bâtiment, je ne dessinais même pas une porte — juste une sonnette. Mais elle venait évoquer l’étonnement, la poésie ou l’étrangeté dans le regard du passant ou de la personne qui rentrait chez elle.
Ces petits gestes, presque invisibles, créaient pourtant un dialogue poétique avec le réel.
Et, quelque part, c’est ce même dialogue que je poursuis aujourd’hui à travers mes dessins et mes livres.
Qu’est ce que Maisonneuve, en quelques mots ?
C’est une série de 400 dessins, que j’ai réuni ici dans cet ouvrage.
Maisonneuve est un carnet d’architectures rêvées.
Un manifeste pour bâtir l’imaginaire.
Un anti-manuel.
Une invitation à repousser les limites du possible et à inventer en dessins l’idée même d’habiter.
Pourquoi prendre l’architecture comme terrain de jeu ?
Depuis mes débuts, je me suis toujours intéressé à la ville et à l’architecture comme à un langage — un matériau à modeler et à explorer, au-delà de la simple construction.
Mon travail traverse différents médiums : le street art, le dessin, l’installation, la sculpture.
Je m’attache à des thèmes universels : la maison, l’habitation, le foyer comme lieu de construction et de départ, le rapport de l’homme à l’espace et au temps, à l’intime et à la solitude, et le dialogue entre le réel et l’imaginaire.
Dans chaque projet, chaque dessin, j’explore l’architecture et l’habitat dans leurs usages, leurs perceptions, leurs représentations, mais aussi dans leurs dimensions sensibles, symboliques et rêvées.
Et c’est de cette recherche, à la fois poétique et critique, qu’est né Maisonneuve.
Justement, comment est né Maisonneuve ?
Maisonneuve est né de mon envie de transformer l’architecture en langage poétique.
Ce livre n’est pas un manuel, ni un catalogue de bâtiments existants : c’est un espace pour rêver, inventer, et réinventer ce que peut être une maison.
Chaque dessin est une exploration de l’habitat, de ses formes, de ses possibles, mais aussi de nos manières d’habiter le monde.
Il questionne notre rapport à l’espace et à l’intime, et invite chacun à laisser libre cours à son imagination.
Ce que j’essaie de faire, c’est créer un dialogue entre le dessin et le lecteur — pour que la maison devienne moins une simple construction qu’une expérience sensorielle, émotionnelle, et même intime.
Dans Maisonneuve, l’architecture n’est qu’un point de départ.
Derrière chaque maison inventée, il y a la question du foyer, des origines, des lieux que l’on quitte et de ceux que l’on part découvrir, de ces lieux que l’on construit, que l’on emmène avec soi.
La maison devient un point de départ vers d’autres horizons.
Derrière l’apparente fantaisie de mes dessins se cachent d’autres chemins. Chaque architecture inventée y joue avec la perception, la gravité, les perspectives, et parfois avec l’idée même de l’impossible.
Les espaces que je propose sont autant des refuges que des labyrinthes, des lieux d’évasion et de contemplation.
Certaines formes rappellent des émotions ou des états d’esprit : la fragilité, la légèreté, la solitude ou le vertige.
Le lecteur peut ainsi parcourir Maisonneuve de manière intuitive, découvrir des détails inattendus, et projeter dans chaque dessin sa propre histoire.
Ce livre est aussi une œuvre ouverte, au sens qu’en donnait Umberto Eco : chaque lecteur peut y projeter ses propres histoires, ses propres émotions.
Les sens y sont multiples, rien n’est figé.
Quelles ont été vos influences pour ce projet artistique ?
Mon travail s’inscrit dans une tradition d’architectures imaginaires et d’expérimentations artistiques.
Je me suis nourri des visions radicales et poétiques de certains architectes, collectifs et artistes qui ont exploré la maison et l’espace de manière libre et conceptuelle.
Leurs recherches sur la forme, la perspective, la couleur et la perception m’ont permis de dépasser les contraintes classiques de l’architecture pour créer des dessins qui sont à la fois des œuvres d’art et des propositions d’habiter inédites.
Je pourrais vous en citer beaucoup, mais je pense peut être d’abord à Archigram, groupe d’architectes d’avant-garde anglais des années 60-70, qui imagine des architectures futuristes et modulables. Comme eux, Maisonneuve explore l’imaginaire, le répertoire de la science-fiction et repousse les limites du possible.
Je pourrais aussi citer Superstudio, autre groupe de designers et architectes italiens des années 80, qui créent des architectures conceptuelles et critiques, minimalistes. Une architecture qui questionne l’architecture elle-même. À sa manière, Maisonneuve questionne aussi la manière d’habiter et esquisse des modes de vie poétiques.
Autre groupe très inspirant pour moi, le Groupe Memphis, créé par des designers et d’architectes italiens des années 80 également. Leurs créations dessinent un univers décalé, graphique et joyeux très inspirant. Un jeu avec le visuel et l’émotion que j’essaie de suggérer dans Maisonneuve.
Dans un style différent, je pense à James Wines / SITE, cet architecte américain chez qui architecture et art fusionnent et dialoguent avec leur environnement. Sur le papier, mes dessins tentent de créer ces interactions et ces histoires, avec l’espace, entre architecture et art.
Je pense aussi à Michele De Lucchi, designer et architecte italien, qui sculpte à la tronçonneuse des maisons expérimentales en bois et explore la poésie des formes. Comme lui, je fais de la maison un terrain d’expérimentations artistiques.
Et bien sûr, Piranesi, architecte et graveur italien du 18ᵉ siècle, qui imagine des architectures impossibles et labyrinthiques. D’un certaine façon, mes dessins explorent aussi le vertige et le rêve architectural.
Enfin, je pense à Escher, artiste et graveur hollandais du 20ᵉ siècle, qui représente des architectures aux perspectives impossibles et crée des illusions visuelles. Dans Maisonneuve, je joue à ma façon sur la perception de l’architecture et l’impossible pour surprendre le regard.
Maisonneuve parle de tant d’autres choses que de l’architecture…
Oui, Maisonneuve, c’est une exploration poétique de l’architecture, mais aussi une manière de parler de nous — de nos foyers, de nos origines, de ce que nous portons avec nous.
Et peut-être qu’au fond, chaque maison inventée est une manière d’habiter le monde autrement — avec imagination, avec poésie, et avec un peu de vertige.